Le chat du héros

Et maintenant je fais quoi?

Après cette semaine obsédée par un mot — Ukraine —que faire?

Après une fébrile prise d’infos tous azimuts, après les indignations, la colère, la tristesse puis l’anxiété, je me rends compte de l’effet pernicieux de cette immersion dans cette actualité accaparante.

Réflexe immédiat: réduire la dose de news.

Éteindre la radio, s’éloigner de Twitter, fermer les pages de presse, laisser la télévision en mode veille.

Bien sûr, cela continue de se passer, là-bas.

Bien sûr, des familles sont déchirées. Dans les profondes stations de métro, des mères protègent de leur amour des enfants qui n’y comprennent rien. Ou alors trop bien.

Et l’émotion me monte à la gorge quand je vois ces hommes, ce professeur de langue, cet agent immobilier apprendre à manipuler une arme, pour défendre sa famille, son quartier, sa ville, son pays.

Que ferais-je si j’y étais?

Que ferais-je face au choix de fuir avec ma famille ou de rester par obligation civique.

Car nous ne sommes pas tous des héros.

Car nous avons grandi dans le paradigme individualiste. MON bonheur, MON bien-être, MON confort, MON avenir. Et bien sûr, en ce inclus celui de mes proches, de ma famille.

Cet homme, qui décide de prendre les armes, est un héros. Quoi qu’il fasse de ce cocktail Molotov ou de ce fusil qu’on vient de lui donner.

Et justement, c’est la solidarité qu’il découvre. La chaleur des compagnons d’armes, ceux qui s’alignent à côté de lui et luttent pour la vie que ces autres sont venus détruire.

Il y a du David contre Goliath. Il y a aussi cette touche d’héroïsme vu dans les séries, des gestes appris dans les jeux vidéos de son fils.

Tellement irréel pour moi. Tellement concret pour lui qui ajuste ce plastique noir sur la fenêtre de son appartement d’où il verra les chars arriver et peut-être lancer cette bouteille de vodka russe — ironie commerciale — emplie d’essence et fermée du tissu découpé dans un de ses anciens t-shirts.

J’ai pris distance du flux d’infos mais je ne peux empêcher ma tête de continuer le trip. Et ce sentiment si désagréable d’impuissance refait surface.

Que puis-je faire, que dois-je faire? Que devrais-je faire?

Ne suis-je pas victime d’une indigestion d’informations? Ai-je réagi de la même manière quand il s’est agi de la guerre en Syrie. Non. Assurément, non.

Dois-je culpabiliser de cette différence?

Et d’où vient-elle?

Est-ce une forme de racisme? Est-ce parce que ces Ukrainiens sont blancs de peau comme moi?

La conclusion est rapide, trop évidente pour être vraie.

La distance y est pour quelque chose. Et pas que la distance géographique. Il y a celle de ces événements qui les a surpris comme nous surprennent toutes ces crises violentes et soudaines qui déchirent un quotidien insouciant, un quotidien inconscient.

La brutalité a fait irruption dans la vie de ces citoyens comme moi. Hormis la folie de ce dirigeant russe, rien n’indiquait qu’un tel chaos allait se produire.

Il y a quelques mois, c’était la furie des eaux qui a dévasté des quartiers entiers. Aujourd’hui c’est  l’irresponsabilité d’un homme poussé par la nostalgie d’un temps révolu et l’ambition de laisser une trace dans l’histoire avant de disparaître dans les livres d’histoire.

Et je n’en ai rien à faire de ses excuses qui feront de ses mémoires un best-seller dans quelques années. Ces lignes auront été écrites des larmes de ces familles, du sang de ses victimes et du sarcasme de la force qui une fois de plus se rit de la faiblesse du dialogue, de la recherche de solutions autres que la brutalité des armes.

J’ai limité ma prise d’infos comme on soigne une addiction. Pas plus de deux fois par jour. Entretemps, je tente de poursuivre le cours de mes activités, de ma vie insouciante à l’abri de ces périls. Mettre de côté ce sentiment de futilité qui colore toutes ces choses du quotidien reste le plus difficile.

Hier j’ai rempli le formulaire déclarant que j’étais prêt à accueillir une famille de réfugiés ukrainiens ayant fui l’enfer qu’est devenu leur quartier, leur ville. Une des questions de ce questionnaire était « Acceptez-vous un animal domestique ?».  Cette question ordinaire, je l’ai reçue comme une claque. Le choc d’un quotidien pénétrant brutalement dans une réalité certes présente mais néanmoins distante, irréelle. Accepter un animal domestique, un chien, un chat. Symbole d’une vie bouleversée. Symbole d’une innocence perdue dans l’absurdité d’un monde qui semble entré en agonie et secoué des spasmes des crises qui se succèdent sans se ressembler.

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