70.000, 70.000 personnes se sont déplacées pour marcher à Bruxelles et exprimer ainsi leurs préoccupations concernant le climat.
J’en étais. Je n’envisageais même pas de ne pas en être.
Pourtant, je ne me faisais aucune illusion quant à l’impact que pourrait avoir ma présence dans cette foule de 65.000 personnes selon la police et de 75.000 selon les organisateurs. Vous vous rendez compte ? La marge d’erreur est équivalente à la population de toute ma commune ! Imaginez donc l’importance infime de ma présence, là, dans cette foule, à marteler le pavé dans le crachin d’automne qui, au vu de l’averse du matin, avait des allures de privilège météorologique.
Pourquoi consacrer ce dimanche à cette marche ? Pourquoi s’entasser dans un train bondé qui refusait du monde à chaque arrêt ? Pourquoi renoncer durant six heures à mon confort, à ma voiture ?
Cruelle constatation du saut quantique qui sépare la décision individuelle du mouvement collectif. Si j’avais décidé de ne pas venir, cela n’aurait eu aucun effet. Si tous les participants avaient pris la même décision, les rues de Bruxelles seraient restées vides. Ma décision était donc comme la goutte qui crée l’océan: insignifiante mais pourtant tellement nécessaire.
Et puis quel message ce rassemblement veut-il exprimer ? Message à nos politiques ? À nos politiques belges ? De la petite Belgique, à peine plus influente que la goutte de l’océan, de ma présence à cette marche ?
Si je savais que je devais être là, j’étais plutôt désabusé quant à son effet. J’imaginais dès le matin les propos du soir, la récupération politique, les solidarités de façade exprimées par les personnes aux commandes de l’État qui exprimeraient les mêmes voeux pieux que la foule, semblant oublier qu’elles ne font pas partie de la foule: elles la représentent. Elles décident à sa place. À les écouter pérorer, on ne peut que se rendre compte que sans doute pour elles, pour eux, il n’y a plus qu’une seule chose qui compte: séduire, convaincre … pour se maintenir au sommet du hit parade politique, pour être ré-élu, pour « ne pas perdre sa place ».
Et s’ils ou elles nous écoutaient vraiment ?
Que demande tous ces marcheurs ? Et moi ? Qu’est-ce que je demande ?
Hier, je ne voyais pas vraiment quoi demander qui ne soit un souhait. Comme on écrit une lettre à Saint-Nicolas ou au père Noël.
Que pourrais-je bien demander à nos représentants élus ?
Et en lisant ce matin l’éditorial de la Libre, j’ai enfin remis de l’ordre dans ma pensée.
Oui je suis inquiet pour le climat. Oui, mes choix ont un impact sur le réchauffement climatique. Oui, c’est négligeable quand je pense aux cargos et autres navires de croisière qui produisent l’équivalent de ce qu’émettent tous les véhicules à carburant fossile durant plusieurs mois. Oui je suis conscient qu’il peut y avoir une manipulation des consciences par les élites économiques, financières, politiques et médiatiques qui consiste à culpabiliser la population, à maintenir une inquiétude existentielle qui la distrait de ce qui se décide dans les alcôves des pouvoirs.
Et de me rappeler alors le colibri. Comme lui je fais ma part. Comme lui j’évalue mes décisions de prendre les transports en commun ou d’opter pour la voiture. Et je sais la disproportion entre l’effet de mes choix et l’inconfort qu’ils me causent.
Et puis me revient ce constat plus qu’alarmant: l’heure n’est plus aux mesurettes, aux atermoiements. Nous allons dans le mur. Il est déjà presque trop tard. Des mesures drastiques doivent être prises par ceux-là mêmes qui savent combien le fait d’agir est nécessaire mais savent aussi combien cela peut leur être pernicieux, mauvais pour leur « attractivité », emprisonnés qu’ils sont dans le court terme, dans l’échéancier électoral, dans leurs agendas personnels. Comment dès lors faire preuve de vision, d’ambition — autre que la leur.
Et c’est alors que cet éditorial se rappelle à moi. Il me lance cette belle idée, que nous avons marché pour dire à nos politiques que notre économie n’est pas qu’une machine à produire, à générer du PIB, qu’il y a quelque chose qui s’appelle « l’intérêt général » c’est-à-dire tout sauf l’intérêt d’une élite. Et qu’il serait peut-être temps de donner une direction, de nourrir une vision.
Oh bien sûr cela nous mettra en face de nos contradictions, de nos incohérences. Cela questionnera nos choix et confort quotidiens. Cela impliquera des renoncements.
Oui, c’est ça que j’ai demandé à nos politiques hier.
Mesdames, messieurs les politiques: créez-nous une vision et agissez, et décidez pour aller vers sa réalisation. Facilitez nos choix individuels en investissant dans des politiques de transport, énergétiques, écologiques, économiques pour inciter le plus grand nombre. Faites de notre pays un modèle de conversion, d’évolution. Qui vient de loin, certes, mais qui montre qu’il s’engage dans la bonne direction.
Et informez-nous, expliquez, démontrez, chiffres à l’appui, que nos taxes et impôts ne sont pas des saignées, mais des investissements pour évoluer vers une société plus écologique dans le sens premier du terme.
Passez du PIB (produit intérieur brut) au PEB (produit écologique brut). Montrez-nous que les taxes sur les carburants sont investis de manière transparente dans le développement des transports en commun, qu’elles sont redistribuées en prime à l’isolation,…
Et qu’alors notre petit pays à l’échelle du monde devienne un exemple à défaut d’avoir un impact significatif sur le réchauffement planétaire.
Je saurais alors que je n’ai pas perdu mon temps dimanche parmi tous ces gens qui d’une manière ou d’une autre partageaient la même préoccupation.