Entre ciel et terre : Le paradoxe de la présence

À l’Acropole, face au Parthénon, une évidence s’impose : la Grèce antique n’existe plus.

Ces colonnes ont 2500 ans, mais ce que je vois n’est pas ce qu’ont vu Périclès ou Socrate. Le site est ce qui reste des outrages du temps mais surtout de ceux des humains, Ottomans, Chrétiens et même Grecs, qui se sont montrés incapables d’inclure le passé dans leur présent. L’Acropole est la mémoire d’une antique Grèce mais surtout une démonstration de résilience architecturale. Le marbre éclatant de blanc est désormais gris. Les statues ont disparu. Les fresques démontées et emportées. Le temple vivant est devenu un musée dépouillé et il est presque étonnant qu’il exprime encore une telle puissance, preuve que les contemporains de Péricles savaient y faire quand il s’agissait de construire pour l’éternité..

Et pour revenir en ville, Socrate a marché dans ces rues, mais Socrate n’est plus là. Ses dialogues sont dans les livres, pas dans les pierres d’Athènes. Pour retrouver sa pensée, pas besoin de venir ici. Un bon fauteuil et Platon suffisent.

La Grèce d’aujourd’hui n’est plus la Grèce d’hier. Les Grecs modernes parlent une autre langue, vivent une autre vie, pensent autrement. Le passé est passé.

Alors pourquoi suis-je venu ?

Delphes : Quand le passé devient présent

C’est à Delphes que ce que j’espérais s’est produit. Je l’attendais face au Parthénon mais ce ne fut qu’un frémissement. Sans doute pour les raisons évoquées dans une page précédente de ce carnet.

Lors d’un stage corps et voix animé par Laura Sheleen, une femme extraordinaire, psychanalyste jungienne et chorégraphe, m’avait invité lors de visites de lieux prestigieux comme les cathédrales à prendre le temps de m’imprégner du lieu. Et de le laisser me toucher. Ou pas.
Et cela n’a rien à voir avec la qualité architecturale. Ces lieux, comme les gens ont parfois envie de nous parler. Et parfois pas. Ou pas à nous. Ou bien nous ne sommes pas prêts à les entendre. Rien de bien, rien de mal et encore moins de regrettable.

Et c’est ce qui s’est passé à Delphes, les pierres que les pèlerins d’il y a 3000 ans ont foulées, les restes de colonnes m’ont interpellé. La brume n’arrivait plus à masquer le soleil qui écrasait la vallée à cette époque

Soudain, le passé n’était plus “passé”. Il était là, dans la terre elle-même.

Pas dans les ruines – les ruines ne sont que des traces. Mais dans le lieu. Dans cette géographie particulière qui a fait que les Anciens ont choisi cet endroit précis pour le centre du monde.

Delphes ne pouvait être ailleurs. Cette prise de conscience ne vient pas par les livres. En tout cas pas comme ça. Elle vient de la présence physique à l’endroit même.

Le passé n’est pas que dans le temps. Il est dans l’espace.

Les Météores : L’entre-deux permanent

Aux Météores, le paradoxe est devenu total. À l’espace et au temps maintenant confondu s’est ajouté le matériel et le spirituel.

Ces moines byzantins ont construit leurs monastères entre ciel et terre.

Ni vraiment dans le monde d’en bas – ils l’ont quitté.
Ni vraiment dans le ciel – ils restent incarnés, humains.

Un entre-deux. Une suspension.

Et aujourd’hui ? Les moines d’il y a 600 ans ne sont plus là. Leur monde spirituel absolu a disparu. Les quelques nonnes à Roussanou ne vivent plus comme au Moyen Âge. Le passé monastique est passé.

Mais en grimpant les 140 marches d’Agia Triada, essoufflé, les jambes en feu, nous avons vécu ce que les moines vivaient. Le même effort physique. Le même vertige. La même ascension qui vous coupe du monde d’en bas.

En haut, dans le silence (on a visité très tôt le matin avant l’arrivée des cars et le temps maussade a fait le reste), quelque chose du passé se réactive. Pas comme reconstitution, mais comme expérience réelle, ici et maintenant.

Le programme des visites

Nous avons visité cinq monastères. Agia Triada fut le premier le jour de notre arrivée dans la région. Fabuleuse découverte de ce piton rocheux surmonté de ce monastère. Le lendemain ce fut Agios Nikolaos un des plus petits monastères mais celui qui nous a le plus touché. Puis, changement d’atmosphère avec le monastère de Roussanou qui est un monastère de nonne ce qui ajoutait une touche de sensibilité qu’on n’a pas ressenti dans les autres. Ce fut ensuite le tour du monastère Varlaam, nettement plus imposant avant de découvrir le lendemain le “grand frère”, le monastère du Grand Météore, impressionnant par la taille et qui a conclut en beauté cette étape fabuleuse.

Le paradoxe de la distance

Mystère. Nous sommes blasés de mauvaises séries de science-fiction mais celles-ci reposent sur des réalités tangibles pour celles et ceux qui prennent le temps de les accueillir.

Le temps est une fiction. L’espace, une tentative de notre corps de la matérialiser.
Les Américains l’ont compris quand ils disent que la prochaine ville est à deux heures de route (en plein dans le “mile”, j’ai envie de dire; désolé plus fort que moi)

Socrate ? Il est présent dans notre esprit quand nous reposons le livre. Pas besoin d’Athènes moderne pour le rencontrer.

Mais Delphes et les Météores nous affirment le contraire : comment saisir cette quête spirituelle verticale sans grimper soi-même, sans sentir le vide vertigineux, sans cette vision de la ville moderne qui s’étend en contre-bas, sans le silence du lieu, sans l’obscurité délicate qui enveloppe les fresques murales des chapelles?

Certains passés ne survivent que dans les lieux qui les ont portés. D’autres émergent de l’intérieur et sont alors accessibles où que l’on soit

Passé et Présent : Une fausse opposition

Le piège, c’est de croire que passé et présent s’excluent. Que la Grèce moderne a effacé la Grèce antique.

Aux Météores, ces piliers de pierre ont 60 millions d’années. Les monastères 600 ans. Moi, quelques décennies. Nous coexistons tous dans le même instant, sur le même rocher.

Le temps n’est pas une ligne. C’est une stratification. Les couches s’accumulent sans s’annuler.

Conclusion provisoire: Faut-il y aller ?

Pour retrouver Socrate ? Non, il n’est plus là.

Pour comprendre pourquoi les Grecs ont fait de Delphes le centre du monde ? Oui, absolument.

Pour saisir ce que signifie vivre entre ciel et terre ? Oui, il faut grimper.

Certains passés sont dans les livres. D’autres sont dans les pierres.

Déjà le paysage magnifique des Météores se rétrécit dans mon rétroviseur mais il nous imprègnera encore longtemps.
Direction l’île de Lefkada (Leucade). La météo est encore pessimiste mais la Pythie nous a dit de ne pas en tenir compte. L’appartement qui nous attend a vue sur la mer et nous prendrons un temps de calme pour nous et ce carnet.

1 commentaire

  • Un petit air de muraille de Chine.
    Le fond de l’air inspire l’aède.
    Un nouveau genre : le lyrisme belgellène.

    Cap sur l’île.
    Ici Benjamin a laissé peu de traces.

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