De Naupacte à Olympie

Naupacte, étape qui s’est ajoutée la veille. Premier changement d’une série qui a commencé quand nous avons décidé de ne rester que 2 nuits sur l’île de Leucade.
Après la mésaventure du clou, nous avons roulé pour rejoindre la rive qui fait face au Péloponnèse. Nous avions déjà repéré Naupacte que l’on nous avait recommandé.
Je disais que c’est dans cette ville, ou du moins dans les eaux de son golfe que Don Quichotte faillit ne jamais voir le jour.

C’est ici même, face à cette ville de Naupacte que les Vénitiens appelaient Lépante, que s’est déroulée en 1571 l’une des plus grandes batailles navales de l’histoire. Parmi les soldats espagnols de la flotte chrétienne qui y affronta l’armada ottomane se trouvait un jeune homme de 24 ans nommé Miguel de Cervantes.
Trois coups d’arquebuse – deux dans la poitrine et un qui lui paralysa définitivement la main gauche. Cervantes survécut miraculeusement, mais resta estropié à vie. On le surnomma “le manchot de Lépante”. Sans cette main valide, il ne put continuer sa carrière militaire et se tourna vers l’écriture avec la suite que l’on connait.

Contrôlant l’entrée du golfe de Corinthe, véritable porte maritime vers la Grèce centrale La ville de Naupacte eut une importance stratégique. C’est pourquoi les Vénitiens y construirent un château et des fortifications impressionnantes.


La ville est coincée entre la montagne et la mer. Le château offre un magnifique point de vue sur le golfe et le petit port circulaire, parfaitement préservé avec ses murailles qui plongent directement dans l’eau.

Notre hôtel, un peu sur les hauteurs était une bulle de sérénité inattendue. Un havre de calme et de fraîcheur dans cette ville étroite où transite un flux incessant de véhicules. Idéal pour nous reposer avant d’aborder le Péloponnèse.

Samedi matin, après un copieux petit-déjeuner sur la terrasse de l’hôtel et sa belle vue sur le golfe de Corinthe, nous traversons le pont Rio-Antirrio, un des plus longs pont à haubans d’Europe.

Nous avons changé la prochaine étape et opté de nous rendre directement à Olympie. Deux heures de route vers un lieu mythique de la Grèce antique mais également romaine. Olympie est un petit village qui vit du tourisme que génère son site archéologique prestigieux. Échoppes de souvenirs alternent avec les restos qui proposent diverses déclinaisons des mêmes plats traditionnels. Nous décidons de faire la visite le lendemain à la première heure, espérant échapper à la masse de touristes débarquant de leurs autocars.

Mais nous en sommes pour nos frais. Dès l’ouverture, deux autocars sont déjà là, annonçant une marée d’autres qui déverseront leur flot de touristes.
La foule se presse déjà vers l’entrée. Mon cœur se serre. Cette masse grouillante, ce brouhaha de langues mélangées, et surtout, ce premier regard sur un amoncellement de pierres écroulées… L’enchantement espéré se transforme en désillusion.
Où est la magie promise des lieux olympiques ? Je ne vois qu’un champ de ruines envahi de touristes pressés.
Je respire profondément. Retrouver mon calme intérieur pour m’ouvrir à ce lieu millénaire.

Décision rapide : nous contournons la foule qui se masse vers les temples et filons directement vers le stade. Les groupes organisés n’y sont pas encore. Et là, miracle.

Le passage voûté du stade s’ouvre devant nous comme un portail temporel. Nos pas résonnent sous la pierre antique, et soudain, nous émergeons dans l’arène sacrée. Le silence. L’espace bordé de gradins de terre. La terre battue et ses deux lignes de pierre marquant la ligne de départ et d’arrivée.

Je m’avance sur la piste, 192,27 mètres exactement, et quelque chose se dénoue en moi.
Ici, pendant plus de mille ans, les plus grands athlètes du monde grec ont couru, sauté, lutté. J’imagine entendre les 45000 spectateurs rugir. La magie opère enfin. Le temps suspend son vol. Olympie m’a enfin accueilli.
Je me lance dans une course au petit trot sur la piste. Faire de moi un athlète olympique. Enfin, me l’imaginer.
Curieuse sensation. Moi qui ai beaucoup couru mais ne court plus depuis des années, je recontacte ce confort indescriptible pour celles ou ceux qui n’ont jamais couru. Mélange de rythme, de chaleur corporelle, de jambes qui rebondissent. Expérience que je partage avec tous ceux qui courent et surtout ceux qui ont couru .. ici.
Je franchis la ligne et ses rayures, essoufflé. Et apaisé.
Nous pouvons retourner vers le cœur du site. Je ne vois plus les groupes de touristes qui, déjà, nous ont rejoints.
Nous repassons sous la seule arcade qui subsiste du tunnel qui amenait les athlètes sur le stade.
Cette fois, mon regard a changé. J’invite Claude, mon guide à l’intelligence artificielle à devenir mon guide narrateur. Et celui-ci ne se fait pas prier. Il nous partagera histoire et anecdotes qui donnent vie aux pierres qui jonchent le site

Il commence par nous parler des Zanes, pluriel curieux de Zeus qui désigne la rangée de statues de bronze à l’entrée du stade et dont la construction fut financée par les amendes infligées aux tricheurs olympiques qui soudoyaient leurs adversaires ou achetaient leur victoire au pentathlon

Nous progressons vers le temple d’Héra, l’un des plus anciens de Grèce (VIIe siècle av. J.-C). Ses colonnes massives sont toutes disparates car elles ont été construites pour remplacer les colonnes de bois initiales quand elles se dégradaient.

C’est ici, devant les ruines de ce temple, que se déroule encore aujourd’hui la cérémonie d’allumage de la flamme olympique moderne. Des photos montrent des actrices en robes de prêtresses antiques utiliser un miroir parabolique pour capturer les rayons du soleil et allumer la feu de la première torche qui serait ensuite passée d’athlète en athlète jusqu’au stade olympique des jeux de l’année. Une tradition qui a été misée en place par le sinistre Goering lors des jeux olympiques de Berlin.

Nous nous dirigeons ensuite vers le temple de Zeus. Anastylose. C’est le mot du jour même s’il est dur à replacer dans une conversation. L’anastylose veut dire “remettre debout”. C’est une convention d’archéologues qui consiste à remettre debout UN élément pour donner une idée de la taille d’un monument. C’est le rôle de cette unique colonne qui se dresse et permet de se faire une idée de la taille de ce temple à Zeus. Une manière de gérer la frustration de voir ces innombrables tranches de colonnes gisant sur le sol. Mais la frustration se mue en regret en pensant que ce temple plusieurs fois victime de tremblements de terre abritait une des sept merveilles du monde antique: la statue chryséléphantine de Zeus créée par Phidias. Haute de 13 mètres, faite d’or et d’ivoire, elle représentait le dieu assis sur son trône, tenant dans une main une Victoire ailée et dans l’autre un sceptre surmonté d’un aigle. Cette statue occupait toute la hauteur du temple. Nous avons de suite pensé à l’immense Bouddha du temple de Nara. Déférence et crainte sacrée que l’on ressent inévitablement face à ces statues gigantesques.

Phidas, le créateur de cette sculpture avait auparavant créé la statue d’Athena Parthenos dans le temple qui en a pris le nom (le Parthenon) mais il a également créé la statue en bronze de 9 mètres d’Athena Promachos à côté du Parthenon et visible depuis la mer. Le Zeus d’Olympie et l’Athena Parthenos avaient à peu près la même taille et décorées d’or et ivoire même si le Zeus était assurément plus grandiose. Le destin de ces trois statues fut étonnant. L’Athena Parthenos fut détruit dans l’incendie du Parthenon et les pillages successifs, alors que la statue de Zeus fut détruite dans l’incendie du palais de Lausos à Constantinople où elle avait été déplacée pour la conserver. La statue de bronze d’Athena Promachos fut elle aussi déplacée à Constantinople mais fut fondue par une foule en colère convaincue que la statue portait malheur.

Nous terminons notre visite par la palestre, le lieu d’entraînement à la lutte. Les quatre portiques qui entouraient la cour carrée sont encore partiellement debout. C’était un lieu d’entraînement mais également un lieu de discussions philosophiques. On dit que Socrate y a passé du temps mais ce qui m’a interpellé le plus c’est de découvrir que Platon, dont le vrai nom était Aristoclès, était un lutteur accompli et devait s’entraîner dans des palestres comme celle-ci. Ses camarades lui donnèrent le surnom de “Platon” (qui signifie “le large”, “celui aux larges épaules”) en raison de sa carrure imposante de lutteur.
Et l’histoire raconte que le jeune Aristoclès aux larges épaules qui rêvait de gloire olympique et s’entraînait sans relâche abandonna les combats du corps pour ceux de l’esprit suite à une rencontre avec Socrate.

Je n’ai pas pu m’empêcher (même si je sais que cela peut paraître excessif voire présomptueux) de faire le parallèle entre le chemin de Platon et le mien, moi qui suis passé de la pratique de l’art martial qu’est l’aïkido à une forme de philosophie de vie qu’est l’AïkiCom. Mais voilà. J’y ai pensé et je vous le partage. Faites-en ce que vous voulez 🤪

Le soleil monte dans le ciel. Les groupes de touristes affluent maintenant de toutes parts. Ce n’est plus 2 autocars mais huit et d’autres arrivent encore.

En quittant Olympie, je comprends que la magie des lieux n’était pas dans le silence ou la solitude, mais dans la capacité à écouter les murmures du passé au-delà du brouhaha du présent. Olympie a ajouté une dimension à l’expérience vécue à l’Acropole puis à Delphes.

L’ Acropole a éveillé la beauté monumentale censée être éternelle, Delphes a attisé une conscience corporelle de la puissance du lieu et Olympie m’a fait plonger dans l’intensité de la mémoire tapie entre les pierres des monuments.

3 commentaires

  • Il fut pourtant au Japon, sans rien d’autre qu’un large sourire et la langage des mains.

  • Vos changements de programme et l’existence d’un programme m’incitent à vous livrer un extrait d’un carnet de voyageur, issu de la revue “Bouts du monde”. Nicolas Jolivot voyage à l’ancienne, sans itinéraire très précis, sans guide, sans téléphone… Il se fie à sa bonne étoile. En 2016, il était au Japon.

    “Je ne rêve jamais d’une destination lointaine à l’avance car le rêve façonne trop le voyage, avec des quantités d’images déjà vues et d’idées préconçues. Le risque est de tout organiser afin que le voyage colle au rêve initial ; or le voyage ne sert pas à conforter nos certitudes, mais à négocier avec les incertitudes.”

    • A

      S’il y a un pays où planifier le voyage me paraît inévitable, c’est bien le Japon (je parle d’expérience). Par contre je crois effectivement que le thème qui semble s’imposer durant ce voyage, c’est la collision entre attente (anticipation) et réalité. Pas tant pour ce qui concerne le choix d’hôtel (j’ai horreur de faire des choix de derniere minute pour le logement) que pour le programme de visite qui doit laisser une marge d’imprévu

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