Nous ignorions qu’en quittant Olympie en début d’après-midi pour rouler vers le sud du Péloponnèse, nous nous apprêtions à ouvrir une nouvelle page de l’histoire de la Grèce. Une page en deux parties avec pour point commun une ville que pourtant nous avions décidé de ne pas visiter : Sparte.
Sparte.
Rien que le nom allume des images puissantes de guerriers, de combats et surtout cette lutte avec Athènes, symbole de démocratie et de philosophie.
En bons guerriers qu’ils furent, les Spartiates n’ont pas laissé grand-chose derrière eux.
Logique : bâtir ou détruire, il faut choisir.
Et dans leur cas, cela semble très clair.
Et donc rien à voir à Sparte. Passe ton chemin, touriste en quête de beaux clichés.
Nous avons réservé une chambre à Mavromáti au lieu de Kalamata pour visiter le site archéologique de l’ancienne Messène.
Messène ? Messinia ? Ce n’est pas plutôt Mycènes ?
Eh bien non. C’est bien Messène ou Messinia selon la langue. Rien à voir avec Mycènes et la civilisation mycénienne (1600-1100 avant J.-C., non pas Van Damme, l’autre JC) que nous découvrirons lorsque nous irons à Nauplie.
Messène a été construite lorsque la région a été libérée de Sparte qui considérait les Messéniens comme des esclaves agricoles produisant toute la nourriture spartiate.
En 369 av. J.-C., le général thébain Épaminondas, après avoir écrasé l’invincible armée spartiate, libéra les Messéniens et les aida à construire cette cité magnifique.
Formidable histoire d’un peuple libéré qui put proclamer : “Nous existons. Nous ne sommes plus les esclaves de Sparte.”
Cette libération marqua la fin de Sparte qui ne se remit pas de perdre la moitié de son territoire.
Nous ignorions tout de cette tranche d’histoire et quelle ne fut pas notre surprise, au détour d’un nième lacet, de tomber nez à nez avec une porte impressionnante flanquée d’une muraille gravissant la colline : la porte d’Arcadie. Sa forme circulaire, son énorme bloc tombé de travers sur la route et les pierres de la porte.
Surprise et émerveillement.
Pour se protéger d’un retour de Sparte, les Messéniens ont construit une muraille qui fait le tour du site de l’ancienne Messène et compte près de 9 km.
La porte d’Arcadie en fait partie et fut un gros coup de cœur, présageant les autres découvertes que nous nous apprêtions à faire le lendemain matin. Nous nous sommes réservé une soirée calme de repos pour respecter le rythme d’une visite par jour.
La visite du site archéologique fut une découverte aussi surprenante que grandiose.
D’abord, très peu de visiteurs. Nous avions le site quasi pour nous seuls sous un agréable soleil et avec un petit vent rafraîchissant.
Tout sur le site exprime cette volonté des Messéniens de reconstruire leur identité collective et d’affirmer, après 350 ans d’asservissement : “Nous existons. Nous avons notre propre identité.”














Intéressant, le temple d’Asclépios (Esculape en latin) où les malades venaient en pèlerinage. On les faisait dormir en attendant qu’Asclépios leur apparaisse en rêve, puis les prêtres-médecins interprétaient ces rêves pour les guérir.

Superbe, le stade avec ses gradins de pierre bien conservés et les constructions qui l’entourent avec beaucoup de colonnes encore dressées.
Et aussi le théâtre, très bien conservé, qui achève la visite qui restera dans notre mémoire comme moment fort de notre séjour grec.

En dégustant mon cappuccino, je réalise qu’après l’Acropole, Delphes et Olympie, Messène m’a offert une leçon essentielle :
Parfois, la plus grande richesse du voyage n’est pas de voir ce que l’on est venu chercher, mais de découvrir ce que l’on ne cherchait pas.
Nous reprenons la route vers Kalamata qui devait être le lieu de notre étape mais ne le sera que le temps d’un lunch agréable sous une température de 31°. Ambiance estivale à la porte de novembre !

Nous avons repris la route vers notre étape pour deux nuits sans nous douter où nous allions ni comme il faudrait le mériter pour y arriver.

Une route en lacets interminable à l’ascension des collines, puis en descente vers la côte pour très vite reprendre l’ascension et arriver dans les nuages. Nous entrions dans le Magne.
Et ce n’est pas rien de le dire.
Les Maniotes (c’est le nom des habitants du Magne) ont appris à vivre dans cette région abrupte et quasi hostile. Tellement hostile que les Ottomans ont renoncé à en prendre le contrôle.
Et ce n’était pas tant pour la nature difficile mais plutôt pour le tempérament farouchement indépendant de ses habitants qui se plaisent à revendiquer être les descendants des Spartiates qui ont refusé la défaite de Sparte et se sont retirés dans les montagnes arides du Magne, préférant la pauvreté et la liberté à la soumission !
La capitale du Magne est Aéropoli, c’est-à-dire la ville d’Arès… dieu de la guerre !
Les Maniotes n’ont jamais été conquis et, non contents de cela, ils ont adopté un code d’honneur absolu centré sur la vendetta. Si un homme d’une famille était tué par quelqu’un d’une autre famille, la famille devait venger ce meurtre, et ainsi de suite, durant des générations, au point de ne plus se rappeler pourquoi ils se battaient.
Les maisons autour de Limeni sont des maisons-tours. C’étaient de véritables forteresses pour se défendre des attaques des familles voisines.

style de construction actuel qui reflète le passé du Magne
Le chef du clan le plus puissant du Magne contrôlait Limeni (la ville où nous faisons étape). Il a joué un rôle significatif durant la guerre d’indépendance grecque (1821) et fut considéré comme héros national, puis enfermé… pour insubordination (on ne se refait pas !) et mort en prison. Son frère a respecté la règle de vendetta… et a vengé l’emprisonnement de son frère en assassinant le premier président de la Grèce indépendante.
Que ce soit à travers la fierté des Maniotes ou l’affirmation de l’identité des Messéniens, Sparte était donc bien au rendez-vous.
Mais trêve d’histoire avec ou sans grand H. Nous séjournerons deux nuits dans la baie de Limeni et c’est avec une fierté toute maniote que nous ne visiterons rien.
Absolument rien.
